[Tribune] Les nouveaux CCAG garantissent-ils un achat public environnementalement responsable ?

Les nouveaux CCAG contiennent un nouveau chapitre, intitulé sobrement « développement durable ». Selon Kévin Holterbach (Avocat au Barreau de Lille -Spécialiste en droit public),  » ces clauses restent d’une portée encore tout à fait limitée, et ne garantissent aucunement, à elles seules, un achat public responsable. »

Cela n’aura échappé à personne, les nouveaux Cahiers des Clauses Administratives Générales sont entrés en vigueur, le 1er avril 2021. Au-delà d’un simple toilettage sémantique (adieu « pouvoir adjudicateur  », bienvenue à l’ « acheteur  »), ces nouveaux CCAG contiennent des nouveautés de fond, parmi lesquelles se trouve un nouveau chapitre 16, intitulé sobrement «  Développement durable ».

Conformément aux principes posés lors du Sommet de Rio de Juin 1992, ce chapitre se compose d’un premier paragraphe, relatif aux clauses « d’insertion sociale » et d’un second, portant « clause environnementale générale ».

Au risque de gâcher le suspens, ces clauses restent d’une portée encore tout à fait limitée, et ne garantissent aucunement, à elles seules, un achat public responsable. Cette responsabilité pèse donc, encore et toujours, sur les seules épaules des acheteurs publics.

Clauses d’insertion sociale

Les nouveaux CCAG approuvés sont finalement moins « ambitieux » que ceux mis à la consultation publique

Dans la droite ligne de la rédaction actuelles des dispositions de l’article L. 2112-2 du Code de la commande publique (selon lesquelles « les conditions d’exécution peuvent prendre en compte des considérations relatives (…) au domaine social ou à la lutte contre les discriminations ») les nouveaux CCAG commencent par rappeler le caractère facultatif de telles clauses…tout un symbole !

Les nouveaux CCAG approuvés sont même finalement moins « ambitieux » que ceux mis à la consultation publique. Ainsi, s’agissant de la liste des publics éligibles, les CCAG en consultation publique prévoyaient, en sus de la liste déjà connue (cf. page 10  du « Guide sur les aspects sociaux » établi conjointement par le Ministère du travail et celui de l’Economie en 2018) un mécanisme de validation de l’éligibilité de personnes non expressément listées, par le facilitateur. Ce mécanisme est supprimé par la version approuvée des CCAG.

Pour le reste, le CCAG ne contient aucune surprise. Il reprend l’acception la plus répandue de la clause d’insertion, en volume horaire. Il  rappelle que le titulaire peut, s’il le souhaite, aller au-delà de ce que préconise la clause (« le titulaire s’engage à réaliser une action d’insertion, au minimum à hauteur des objectifs horaires d’insertion fixés dans les documents particuliers du marché »), sans régler la question de savoir qui supporte le coût de la partie de l’action dépassant les objectifs contractuels. Il rappelle également les modalités de mise en œuvre d’une telle clause (embauche directe, mise à disposition, sous-traitance) qui doivent être le plus large possible afin de ne pas restreindre artificiellement la concurrence.

Il prévoit (timidement) que l’objectif de la clause est une embauche pérenne (« à l’issue du marché, le titulaire s’engage à étudier toutes les possibilités d’embauches ultérieures des personnes en insertion  »), sans prévoir ni mécanisme de preuve du caractère sérieux et exhaustif de l’étude, ni même de sanction en cas d’absence totale d’une telle étude.

Les nouveaux CCAG ne permettent pas de mettre un pied à l’étrier aux acheteurs publics qui, faute de moyens humains et/ou financiers, n’osent pas se lancer dans l’achat public socialement responsable

Il organise un mécanisme de suspension, de suppression, voire même d’annulation, de la clause sociale, en cas de difficulté économique du titulaire du marché, sans distinguer les conséquences concrètes des différences hypothèses. Ainsi, particulièrement, le cas de l’ « annulation » interroge : cette annulation entraîne-t-elle restitution dans l’état antérieur et, ainsi, implique-t-elle que l’acheteur doit rembourser au titulaire les sommes correspondant au surcoût induit, pour lui, par la clause d’insertion, pour l’exécution du marché ?

Il prévoit, enfin, un mécanisme de pénalité forfaitaire, en cas de méconnaissance des engagements contractuels, dont le caractère coercitif est donc nécessairement minoré (les entreprises pourront provisionner le montant des pénalités et s’affranchir du respect des engagements en fonction de l’équilibre économique du contrat).

En bref, on le voit, les nouveaux CCAG restent « en surface » en matière d’insertion. Il revient donc aux acheteurs publics d’être plus ambitieux, par la rédaction de clauses adaptées, à insérer dans les CCAP. Il s’agit là, à notre sens, d’une occasion ratée, car, sur ce point, les nouveaux CCAG ne permettent pas de mettre un pied à l’étrier aux acheteurs publics qui, faute de moyens humains et/ou financiers, n’osent pas se lancer dans l’achat public socialement responsable, de peur de commettre des erreurs pénalisantes pour la régularité du contrat et/ou de sa passation.

Clause environnementale

Sur ce point, les nouveaux CCAG se font plus « rigides », puisqu’ils imposent désormais (l’emploi du présent de l’indicatif ne trompe pas) :

  • que les documents particuliers du marché précisent les obligations environnementales du titulaire dans l’exécution du marché ;
  • que ces obligations fassent l’objet d’un véritable contrôle, pendant l’exécution, par les acheteurs, selon des méthodes objectives.

Les nouveaux CCAG sont agrémentés d’un commentaire listant des exemples d’obligations pouvant être imposées, au titulaire et, surtout, rappelant que ces obligations peuvent se rapporter à tous les stades du cycle de vie des produits, ouvrages ou services acquis

Par souci de pédagogie, les nouveaux CCAG sont d’ailleurs agrémentés d’un commentaire, listant des exemples d’obligations pouvant être imposées, à ce titre, au titulaire et, surtout, rappelant que ces obligations peuvent se rapporter à tous les stades du cycle de vie des produits, ouvrages ou services acquis. C’est une très bonne chose, car c’est précisément le renforcement de la prise en compte du coût, non seulement financier, mais également environnemental, du cycle de vie, qui nous semble être la clé pour renforcer le caractère responsable de chaque achat.

Il sera observé que le CCAG étant un document de nature contractuel, il ne peut, en principe, rien imposer aux acheteurs, qui ont toujours la possibilité de l’aménager, via le CCAP. Toutefois, comment ne pas faire ici le lien avec le projet de loi « Climat et Résilience », issu des propositions, formulées à l’occasion de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), et soumis à l’Assemblée Nationale depuis le 29 mars 2021. En effet, la CCC préconisait, dans sa mesure 7.1 du chapitre « Produire et Travailler », de « renforcer les clauses environnementales dans les marchés publics ». L’article 15 du projet de loi matérialise cette proposition en prévoyant une modification des dispositions de l’article L. 2112-2 du Code de la commande publique, lesquelles imposeraient qu’à l’avenir « les conditions d’exécution prennent en compte des considérations relatives à l’environnement ». Partant, cela imposerait effectivement que tous les marchés contiennent au moins une clause environnementale.

Bien sûr, l’on peut regretter, là encore, le caractère relativement vaporeux de la notion de « considérations relatives à l’environnement », de même que le long délai prévu par le projet de loi avant que ces dispositions n’entrent effectivement en vigueur (entrée en vigueur à une date fixée par décret et, au plus tard, à l’issue d’un délai de cinq ans). Toutefois, les modifications des CCAG, cumulées à celles (envisagées) du Code de la commande publique, permettent d’identifier, pour la première fois, en la matière, du droit « dur ».

C’est d’autant plus le cas que, faisant exception au mouvement général de « recul » des pénalités, les nouveaux CCAG prévoient que « chaque manquement » du titulaire aux engagements environnementaux fixés par le contrat fera l’objet d’une pénalité, dont le montant, non-forfaitaire, doit être fixé par les documents particuliers du marché (ce qui impose donc aux acheteurs de définir une telle pénalité dans leurs CCAP).

Certes, ces mesures semblent encore bien peu proportionnées aux défis de notre temps, et il est difficile de s’en réjouir, mais, nous le pensons, elles ont le mérite d’inciter les acheteurs publics les plus réticents à entamer la transition vers un achat public responsable. Concrètement, la plupart des acheteurs publics ont déjà fait ce constat, et travaillent déjà activement (et de manière innovante) à des achats publics responsables.

Pour preuve, en 2020, 18 % des marchés publics passés comprenaient une clause environnementale ; là où, en 2013, ce chiffre n’était encore que 6,7 % …